la biologie se demande ce qu’est la vie,
la physique ce qu’est l’univers, la chimie ce qu’est la matière.
Elles n’ont répondu que partiellement à ces questions,
mais la recherche scientifique est
justement la démarche qui procède par approximations de plus en plus précises ;
la science informatique se demande ce qu’est la pensée.
Réponses partielles : la pensée ne se limite ni au calcul ni à la logique.
La technologie numérique
Constats :
la révolution industrielle a remplacé par des machines inertes
les activités musculaires déployées par des êtres vivants dans des domaines
spécifiques : la confection, la construction et le transport essentiellement.
la révolution numérique remplace par des machines inertes
les activités intellectuelles d’êtres humains dans des domaines spécifiques,
essentiellement la gestion prise dans son sens le plus large
(administrer, compter, conduire, détecter etc).
Le paradoxe du numérique
Un système informatique est fondamentalement un paradoxe :
il n’appartient pas à l’ordre de l’humain ni même du vivant,
mais il est le dépositaire le plus fiable et l’exécutant le plus performant de ce que d’innombrables vies humaines ont produit dans le domaine de la connaissance ;
cette absence d’un sujet pensant vivant fait croire que la technologie numérique est une garantie d’objectivité, alors qu’il y a un sujet agissant donc subjectivité même si fiabilité et performance n’impliquent nullement la pertinence ;
ce paradoxe exige réflexion sur la didactique de
l’informatique ; les mathématiques l’ont fait depuis longtemps,
en particulier avec nos Instituts de Recherche en Enseignement des Mathématiques, les IREM qui viennent de fêter leurs 50 ans ; il convient d’actualiser cet heureux précédent, semble-t-il unique au monde.
Didactique pour le numérique
Les supports pédagogiques actuels de la discipline, à notre avis, prennent insuffisamment en compte les problématiques en jeu :
soit l’iconographie est absente ou réduite à quelques schémas
fonctionnels, ce qui occulte la dimension organique des systèmes informatiques ;
à ce problème spécifique à la science informatique s’ajoute une difficulté ayant ironiquement pour origine l’expansion des technologies de l’information :
elles ont re-sacralisé l’image comme vecteur privilégié de la connaissance, au détriment du texte,
cette régression s’est imposée au nom du modernisme technique de ces nouvelles images, à présent animées et douées d’ubiquité, ce qui rend difficile le retour au texte seul ;
la seule voie satisfaisante selon nous est de trouver des images organiques expliquant métaphoriquement le fonctionnement des systèmes informatiques, en y insérant autant de texte que nécessaire.
La science et le verbe
Pour viser l’objectivité, la science a commencé par
élaborer le langage mathématique car :
un bon dessin vaut certes mieux qu’un mauvais discours ...
mais est moins précis qu’une bonne formule mathématique, comme en témoigne ce dessin trompeur :
Sciences et Graphie
Le recours au texte a évolué avec le développement des sciences :
abandon de l’oralité afin de lever ses ambiguïtés (par exemple les deux formules (x+y2) et (x+y)2
s’énoncent identiquement à l’oral alors qu’elles diffèrent) ;
la linéarité du discours oral est reproduite par la notation mathématique, mais abandonnée dans certaines situations, en particulier en chimie où la construction d’un vocabulaire étymologiquement rationnel a dû passer le relais à des formules s’étalant dans les deux dimensions ;
ces graphies non linéaires, mêlant dessin et texte, se rattachent à la notion de carte au sens large, c’est-à-dire non seulement les
cartes géographiques mais aussi ces
cartes du corps que sont les planches anatomiques, qu’il s’agisse
d’humains, d’animaux ou de végétaux, parfois agrémentés de leur habitat ;
la schématisation des cartes a débouché sur la notion de diagramme,
que toutes les sciences utilisent aujourd’hui.
Animation et linéarité
Le texte écrit a la supériorité sur un dessin d’avoir un sens de lecture induit par sa linéarité.
L’intelligibilité résultante est si forte qu’une visualisation en noir et blanc suffit, l’usage systématique de la couleur dans un texte scientifique n’apparaissant que marginalement (en informatique, on la trouve dans quelques outils d’aide à la mise au point comme les modes d’édition spécifiques à un langage).
Pour retrouver cette précieuse linéarité dans une carte ou un diagramme, surtout en cas de surimpressions, une solution est de l’animer :
au lieu de visualiser d’un coup le dessin, son dévoilement
progressif rétablit un sens de lecture conforme à l’intention de
l’exposé ;
cet usage parcimonieux des dévoilements simultanés permet d’en réserver l’usage à des cas précis, par exemple la concomitance de certains événements ;
ce sens n’est pas forcément unique pour un même dessin, plusieurs discours peuvent s’énoncer dessus en choisissant :
un ordre chronologique,
un ordre de difficulté croissante,
...
Mouvement ou déplacement ?
Ce besoin d’animation rejoint celui de faire figurer un être vivant dans les supports iconographiques :
ce qui peut s’animer, dans le monde vivant, sont les animaux ;
bien que la classification aristotélicienne du vivant ait été ébranlée par les sciences naturelles modernes, celles-ci vont dans notre sens :
les plantes croissent, voire remuent, mais ne se déplacent pas,
certaines formes de langage existent dans le règne animal, permettant de parler de sujet pensant ;
l’informatique n’a jusqu’à présent mentionné le vivant qu’à propos d’êtres nuisibles : le virus, associé à l’attaque ; le bug, associé à l’erreur, la souris au statut ambigu (progrès ergonomique, régression expressive) et menacée de disparition par des prédateurs (trackpad, écran tactile et reconnaissance vocale) ; la seule exception est l’arbre, mais il n’est pas spécifique à la discipline et est évoqué pour sa forme, pas pour son organisme ;
choisir des animaux permet de rappeler qu’un système informatique, bien qu’inerte, est un sujet agissant ; on aboutit ainsi à la notion de diagramme animalier.
Exemple 1 : le Web
On se propose d’appliquer les principes ainsi dégagés à l’explication
de l’infrastructure du Web. Le diagramme proposé :
représente par une araignée et sa toile les connexions entre clients et serveurs, dévoilés par ordre à peu près chronologique d’apparitions des technologies encore présentes aujourd’hui ;
considère par là que la famille des araignées est au moins aussi représentative du vivant que la famille des vertébrés (privilégiée par les organisations de défense de la nature), choix légitimé :
d’abord par l’égalité du nombre d’espèces de ces deux familles (~50 000) et le plus grand nombre d’individus dans la première ;
ensuite par le caractère non nuisible voire utile de cet animal,
enfin et surtout par notre partage avec lui de la maîtrise du tissage, or :
le tissu est ce qui distingue visuellement l’homme civilisé de l’homme préhistorique ;
tissage et texte partagent la même étymologie : un discours, scientifique ou autre, n’est
intelligible que si on peut en suivre le fil, ce n’est pas une coïncidence.
Diagramme arachnéen
Le mythe d’Arachné
Les Métamorphoses d’Ovide nous ont transmis un mythe grec d’une certaine actualité :
Arachné (Ἀράχνη) est une jeune fille de Lydie qui
se disait la meilleure tisseuse du monde, meilleure même que la déesse Athênâ Ergánê
(Ἀθηνᾶ Ἐργάνη, « Athênâ la travailleuse »). Un concours est organisé entre elles deux. La déesse
illustre sur sa toile les dieux de l’Olympe dans toute leur splendeur tandis qu’Arachné en tisse les travers, notamment les infidélités de Zeus, père d’Athênâ. Furieuse, la déesse déchire l’ouvrage d’Arachné et la frappe. Humiliée, Arachné se pend. La déesse lui
offrit une seconde vie sous forme d’un animal suspendu à son fil pour
l’éternité.
Le rôle des informaticiens aujourd’hui est redonner à Arachné
l’humanité volée par le deus ex machina moderne nommé Bot.
Exemple 2 : le système Unix
Appliquons maintenant nos principes à l’administration d’un système Unix. Le diagramme :
utilise la métaphore de l’ouverture d’une coquille Saint-Jacques pour évoquer les satisfactions apportées par un ordinateur réussissant à démarrer. Cet animal a en effet quelques ressemblances avec un ordinateur :
un cœur battant comme une horloge à quartz,
une force brute fournie par un muscle blanc suppléant l’absence de cerveau ;
une double mémoire (génétique, il s’agit d’un organe reproducteur hermaphrodite orange et beige),
un pourtour contenant quelques dizaines d’yeux, assimilables à des périphériques électroniques,
des branchies permettant le transfert d’éléments comme un bus de données,
une bouche en prise sur l’extérieur, comme une carte réseau,
un appareil digestif se protégeant des accès non authentifiés (en synthétisant une perle) ;
d’autres animaux ont peut-être ces caractéristiques, mais il se trouve que le système Unix a pour langage de commande un
langage de programmation nommé Shell (coquille) car situé au dessus de son Kernel (noyau, un jeu de mots inopérant en français mais pourtant inventée par un Français).
Diagramme conchylicole
L’ordinateur, un invertébré
Ce deuxième diagramme représente donc lui aussi un invertébré. Quelques remarques à ce sujet :
les mollusques sont consommés depuis la préhistoire sur tous les continents, et le dessin de la coquille Saint-Jacques apparaît en de multiples occasions, notamment comme symbole de la naissance voir de la résurrection, ce qui s’inscrit bien dans la métaphore du démarrage de l’ordinateur ;
les invertébrés ne constituent pas un taxon selon la zoologie moderne car ils n’ont pas un ancêtre commun excluant les autres animaux, pour cette raison ce terme n’a aujourd’hui plus de valeur scientifique ;
considérer l’ordinateur comme faisant partie de ce groupe n’a donc qu’une signification métaphorique, mais elle est sans doute plus proche de la réalité que la métaphore du cerveau électronique, qui évoque des capacités cognitives qui restent largement à démontrer.
Conclusion
Quelques remarques techniques pour terminer :
les diagrammes présentés sont en SVG, de quelques centaines de balises chacun (dont 10 à 20% de balises d’animation) ;
le modèle événementiel des balises d’animation est limité, ce qui rend pratiquement indispensable le recours à JavaScript ;
la toile et la coquille ont été obtenues par vectorisation de quelques éléments de base (trapèzes et stries respectivement) qui ont été ensuite retouchés, dupliqués et translatés, puis enrichis manuellement de dessins complémentaires et des textes ;
SVG étant à présent un sous-ensemble de HTML5, il sont intégrables dans un diaporama HTML comme on vient de le voir, mais il a été laborieux de gérer les conflits entre les classes CSS du diaporama et des diagrammes, tant pour les styles que pour les effets de visualisation et d’animation qu’elles sous-tendent.